En France, autrefois, le 1er avril, on faisait des blagues et on tentait d’accrocher discrètement un poisson dans le dos des passants. C’était la tradition. Mais les traditions peu à peu s’effacent. Celles du 1er avril n’y échappent pas. A part dans la presse et ses fausses nouvelles, cocasses ou farfelues, démenties le lendemain, plus personne ne pensait à fêter le 1er avril.
Sauf le Professeur Germain. C’était un vieil homme triste et sévère marié à une femme encore plus déprimante et austère que lui. Dans cet océan d’amertume, une fois par an seulement, il s’autorisait une plaisanterie en s’accrochant lui-même un poisson dans le dos avant de partir au lycée. Cela faisait sourire ses élèves qui ricanaient et se moquaient de lui. Tous les ans, la même blague. Jusqu’à ce qu’un étudiant un peu plus charitable lui signale le poisson dans le dos et qu’il le retire en feignant la surprise et l’indignation. Et tous les ans, cette pensée secrète : cette fois encore, je les ai bien eus !
Pourtant, l’année de son départ en retraite, le 1er avril, il n’y eut pas de ricanements, de sourires entendus, de moqueries et de gestes amusés en direction de son dos. Que se passait-il ? Il réfléchit une partie de la journée puis comprit enfin dans une illumination: mes élèves me font un poisson d’avril ! Ils ont fini par comprendre que je me moque d’eux et retournent la blague contre moi.
Amusé et content de sa journée, quand il rentra chez lui, sa femme l’attendait sur le perron de la maison. Avec sa tête d’enterrement et sa vilaine figure qui soudain s’éclaira. Alors, il entendit ces mots improbables : poisson d’avril ! Dans sa main, elle tenait le poisson de papier qu’elle avait l’habitude de lui accrocher dans le dos depuis plus de trente ans.